Les Profs de Français nous Détournent de l’Intérêt d’un Texte

Les Profs de Français nous Détournent de l’Intérêt d’un Texte

Je n’ai jamais aimé les commentaires de textes en français. Outre leur côté tiré par les cheveux, j’avais du mal à voir l’intérêt de l’exercice. À présent que j’écris et que j’enseigne des techniques d’écriture, je comprends pleinement pourquoi. Si l’on met de côté « l’avantage » cynique − pour une partie de la population − de la reproduction sociale, ces analyses n’ont aucun intérêt littéraire.

Pour appuyer mes propos, j’ai décidé de chercher des commentaires d’un extrait des Misérables, de Victor Hugo. Ceci est typiquement un exemple de très bonne copie ; un exemple de ce qui est attendu dans ce genre d’exercice. Décortiquons-la ensemble !

NB : L’extrait du roman dont il est question peut se trouver à cette adresse, 2e partie, page 208 à 211.

Mes Souvenirs de Français

En lisant ce commentaire de texte, je me suis revu des années en arrière, avachi sur ma table comme tout bon lycéen, à chercher du champ lexical et des métaphores dans un texte que j’avais lu en diagonale ; tout cela pour en tirer une analyse superficielle, mais structurée et soutenue par de nombreuses citations.

Et tu sais quoi ? J’avais toujours de bonnes notes. Et oui. Je savais ce que les professeurs attendaient de moi. J’avais grandi dans le bon milieu social − élevé par deux chercheurs en sciences humaines. Malgré ma piètre analyse et le manque de réflexion profonde, mes commentaires étaient valorisés. J’étais du bon côté de la reproduction sociale − mais ni moi, ni quelconque élève de ma classe n’a jamais vraiment appris le moindre conseil d’écriture dans un cours de français. Pourtant, l’objectif des cours de français au lycée n’est-il pas « la consolidation des compétences fondamentales d’expression écrite et orale, de lecture et d’interprétation, dans une perspective de formation de la personne et du citoyen » ?

Le Commentaire de Texte

Chercher les figures de style. Cette forme d’analyse n’est pas, en soi, complètement inutile. Mais il faut bien réaliser la place démesurée qu’elle prend ! Il y a tellement plus important que la forme et le contexte historique d’un roman, si on veut le considérer d’un point de vue littéraire et non historique. Limiter les romans de Hugo à ses figures de style − certes très belles − et à son engagement politique, c’en devient insultant pour la qualité de ses textes ! Et surtout, ça n’est pas instructif sur la littérature et la façon d’écrire − d’où mes propos engagés en début d’article. Cette forme d’analyse a plutôt tendance à morceler la pensée et dégoûter les élèves des textes étudiés. Ce sont avant tout les personnages, et non les figures de style, qui créent vraiment du lien entre les lecteurs et une œuvre.

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L’Analyse

Bien. Revenons à notre commentaire de texte.

Un Début Évident

L’analyse commence par souligner l’aspect terrifiant de la forêt, en se concentrant sur les figures de style employées par Hugo. Elle discute ensuite de l’empathie que l’on ressent pour cette pauvre enfant, obligée à braver sa peur du noir. Enfin, elle déclare que la forêt est une allégorie du traitement qu’elle subit aux mains des Thénardiers, ses parents adoptifs.

Commençons déjà par les deux premières parties : la forêt inquiétante et l’empathie du lecteur envers Cosette (l’enfant protagoniste dans cet extrait). La méthode du commentaire de texte exige que l’on justifie ces déclarations par des citations. Pourtant, il n’y en avait clairement pas besoin. Je veux dire, QUI, en lisant ce passage, peut passer à côté de ça ? Cette méthode n’est clairement pas plus efficace que le simple instinct que l’on a en lisant les lignes. On a perdu beaucoup de temps pour relever des choses qui sautent aux yeux. Oui, la forêt est inquiétante et Cosette est à plaindre, ça ne semble pas demander la moindre justification… C’est tellement simple en fait, pourquoi s’attarder autant dessus ?

Et je ne vais même pas parler du fait qu’extraire d’un texte des citations tronquées n’est pas un signe de rigueur intellectuelle − c’est au contraire le meilleur moyen de faire dire ce que l’on veut à un texte.

Oui, mais…

On va sans doute me répliquer que le fait de repérer les figures de style est un procédé important pour pouvoir s’en inspirer et réussir à inspirer naturellement ses sentiments au lecteur, comme le fait Hugo ici. Je ne suis que partiellement d’accord avec cette déclaration.

Dans le cadre d’un premier jet, le plus important n’est pas le fait d’être prêt à dégainer ses meilleures métaphores ; le plus utile, c’est de se mettre dans le bon état d’esprit. De savoir ce que l’on veut raconter, et comment les personnages impliqués vont y répondre. Ici, on veut montrer la peur qu’éprouve une fillette, perdue dans une forêt. Chaque auteur aura sa façon de faire − et les cours de français n’ont tendance à nous montrer que la façon « classique », à grand renfort de figures de style.

L’idée du commentaire de texte, c’est de trouver des processus littéraires et d’en tirer des conclusions. L’approche est mauvaise. Le plus intéressant, pour analyser un texte, dans un but d’apprentissage littéraire, c’est de retrouver les réponses aux questions que l’auteur s’est posées. Qui est Cosette et comment voit-elle les choses ? Quelles sont ses envies, ses motivations ? Quel est le but de la scène ? En sachant qui est le personnage, l’auteur sait comment il va réagir à la situation dans laquelle il va le mettre. C’est en partant de cette volonté de raconter quelque chose que les figures de style émergent ; pas l’inverse.

Ensuite, lors de l’étape de relecture, les figures de style peuvent effectivement aider à renforcer des thèmes ou des sensations. Mais c’est du peaufinage, pas le gros du travail − sur lequel on devrait se concentrer. Au lieu de se concentrer sur la source (les questions qui fondent la scène et le récit), on se concentre sur les conséquences (figures de style).

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Un Contresens Révélateur

Passons à la dernière partie. J’ai déjà dit que le commentaire de texte morcelle la pensée ; on en a ici un exemple flagrant. Le commentaire indique que la forêt est une allégorie du mauvais traitement des Thérandiers. J’ai une opinion contraire.

Quel est le but de cette scène pour Hugo ? Montrer l’emprise des Thénardiers sur Cosette. La forêt est horrible, terrifiante. Hugo est allé chercher une peur universelle : la peur du noir dans une forêt lugubre. Comme l’a très justement fait remarquer le commentaire de texte, Hugo utilise du présent de vérité générale pour impliquer le lecteur dans cette peur. Il est dommage que l’analyse en soit restée à cet aspect superficiel. Pourquoi Hugo a-t-il voulu faire ressentir cette peur au lecteur ?

La réponse évidente est : par empathie pour Cosette. Ou tout simplement parce que c’est un bon procédé d’écriture, qui implique le lecteur. C’est vrai ; mais ici particulièrement, Hugo a une autre idée derrière la tête. Une idée brillante, à côté de laquelle le commentaire de texte est passé à côté : il veut mettre l’intensité de cette peur en perspective avec la peur qu’inspirent les Thénardiers à Cosette. « Tel était l’effroi que lui inspirait la Thénardier qu’elle n’osa pas s’enfuir sans le seau d’eau ». Après avoir passé trois pages à décrire à quel point cette forêt était inquiétante, en évoquant une peur universelle pour que le lecteur se sente impliqué, Hugo nous dit : Vous voyez ? Même cette peur n’est rien comparée à ce qu’elle vit. Et ça, c’est franchement brillant !

Une Dernière Analyse

La scène a également un autre objectif − mais on sort du carde de l’extrait. Après avoir montré au lecteur à quel point la vie de Cosette était fondée sur la peur, on voit Jean Valjean en tant que sauveur providentiel, avec un acte fort : il prend le lourd seau d’eau de Cosette sans un mot, pour la soulager d’un fardeau. Tiens tiens, une belle symbolique, encore ; trouvée sans chercher de figures de style. Et malgré toutes ses peurs, elle ne craint pas Jean Valjean. « Il y a des instincts pour toutes les rencontres de la vie. L’enfant n’eut pas peur ».

Voilà ce qu’il est intéressant d’analyser, non ? Tu crois que le plus important pour Hugo était ses figures de style dans ce paragraphe, alors qu’il est en train de montrer la fin de la vie misérable de Cosette et le début de son sauvetage par Jean Valjean ? Il est en train d’écrire un moment fort pour ces deux personnages, et on troque juste avant la fin, sans avoir compris à quel point cette scène était importante.

Pourquoi une simple analyse ne suffit pas

Je déplore qu’on en reste toujours au niveau de « champ lexical provoque ça chez lecteur », « métaphore filée rappelle ce thème », alors que l’écriture est si riche et si diverse. Et c’est ça qui me dérange avec les commentaires de français. L’absence quasi totale de ce genre de commentaires qui devraient, selon moi, composer la majorité des commentaires de texte.

L’extrait entier est construit autour de ça. Je ne suis clairement pas le meilleur analyste de texte du monde ; pourtant, j’ai trouvé rapidement l’idée centrale du texte, et j’en aie tiré une analyse d’un niveau de profondeur que je n’avais jamais vu en cours de français − et pourtant mon analyse n’a rien d’incroyable !

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Je conclurais cet article sur une question ouverte, pour faire tout de même un peu plaisir aux professeurs de français : ne vaudrait-il pas mieux analyser les procédés littéraires centraux das la création d’une œuvre, pour ensuite proposer aux élèves d’adapter ces conseils dans leurs propres créations ?

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4 réflexions sur “Les Profs de Français nous Détournent de l’Intérêt d’un Texte”

  1. Lorenzo, ton article est une lecture engagée qui remet en question les méthodes traditionnelles d’enseignement de la littérature. Ton approche critique, alliée à ton expérience personnelle et professionnelle, offre un éclairage nouveau et nécessaire sur la façon dont la littérature est enseignée et perçue dans le système éducatif.
    Je suis particulièrement captivé par ta capacité à démontrer comment les commentaires de textes, tels qu’ils sont souvent pratiqués, peuvent non seulement éloigner les élèves de l’essence même des œuvres littéraires, mais aussi limiter leur compréhension et appréciation de la littérature. Ta critique de l’analyse superficielle centrée sur les figures de style, au détriment d’une véritable exploration des thèmes, personnages et intentions de l’auteur, est un appel puissant à repenser notre approche pédagogique.
    Le fait que tu mettes en lumière la manière dont Victor Hugo utilise la peur universelle dans « Les Misérables » pour établir une connexion empathique entre le lecteur et Cosette, et comment cela est souvent négligé au profit d’analyses formelles, est une illustration parfaite de ta thèse. Cela souligne l’importance de se concentrer sur ce que les textes nous font ressentir et les idées qu’ils explorent, plutôt que sur leur simple structure ou style.
    Je suis aussi fortement d’accord avec ton argument selon lequel les cours de français devraient davantage encourager les élèves à comprendre les motivations des personnages et l’impact des situations narratives, plutôt que de se cantonner à une analyse stylistique rigide. C’est en explorant ces aspects que nous pouvons véritablement apprécier la richesse de la littérature et inspirer une nouvelle génération d’écrivains et de lecteurs passionnés.

  2. Diane revillard

    Bonjour Lorenzo,
    Merci pour ces réflexions.
    Hugo a aussi défendu le patrimoine avec sa note « Guerre aux démolisseurs ».
    Il dessinait aussi très bien.

    En avril 2019, suite à la catastrophe de Notre Dame, la BNF a présenté le manuscrit éponyme pendant 3 jours. Hugo y avait intégré quelques dessins, il était intéressant d’y voir sa structure de pensée.

    Un commentaire de texte est plus large que le texte lui-même, il est important de comprendre l’époque, de connaître l’auteur… pour l’apprécier à sa juste valeur.
    Diane

  3. Article très intéressant. Il faudrait connaître le but principal des cours des français. En tout cas, ce n’est pas d’écrire de la littérature, et de moins en moins. Hélas ! La créativité n’est pas ce qu’on recherche pour les élèves.
    Par contre, l’esprit critique tant cité gagnerait en intensité si nous décortiquions mieux la littérature.

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Je suis Lorenzo VILLARD, un jeune auteur de 22 ans qui s’est lancé un incroyable défi…

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